Le berger fou des mots

Les paroles jaillissent de la gorge de Paolo Doss, toutes chargées des " r " d'abord enroulés, autour de sa langue - on devine de l'Italie chez lui -, toutes pleines des significations qu'il leur ajoute généreusement, méconnaissables, refondues, hybrides..

Paolo, certainement, est le cauchemar de ceux qui gardent les mots comme d'autres gardent les moutons: il aime les mois égarés, doit détester les bergeries fermées à clef. De toute façon, ce type a un passe, ou je me trompe fort. Pas un mort articulé par lui n'est captif de ses sens courants et il libère nos cerveaux assoupis d'une sémantique rassurante, certes, mais tellement immobile...

Alors, derrière le verbe qu'il recrée, pour un autre langage, récréation pour l'esprit, on entend vaguement sourdre quelque peine, souffrance timide, enserrée dans un humour caustique, ou candide. C'est la réalité dure et nue qu'il vous balance comme on claque une porte. Dure et nue, et plane: une porte sans serrure, arrimée dans ses gonds, incontournable. Pour se venger d'elle, il la saisit, la fige en un tableau dément, s'invente un ventre fécond et parle à perdre le souffle des choses folies, vraies et quotidiennes pour qu'on s'étonne, et il étonne.
J'ai tout fait dans l'œuf est un spectacle drôle et riche, dans lequel chaque phrase est choisie et habillée avec un soin et un goût parfaits.

Claire KUYPERS.

metadonnées

Presse
sam, 14 Avril 1990
Source : 
Le Drapeau Rouge