"Rêve d'ange heureux", le sale air de la peur

L'homme est un animal craintif. Et il a bien raison. Tout au long de sa vie, tout au long du jour, il dispose d'un nombre impressionnant d'excellentes raisons de prendre peur. A peine est-il rassuré sur une question que d'autres, pires encore, viennent le titiller là où, précisément, sa chair est tendre. Le bal de l'effroi au quotidien joue pour l'homme une musique incessante, perpétuelle invitation à la danse de Saint-Guy. Point besoin de doutes existentiels sur sa nature ni d'interrogations métaphysiques sur le souffle qui l'anime: l'homme se contente souvent de s'inquiéter à propos des petits aléas de l'existence. Heureusement, ces tracas à échelle réduite suffisent amplement à combler sa nervosité insatiable.

Chantre de nos terreurs journalières, Paolo Doss continue sa tournoyante recherche SU( ce qui constitue l'homme, et nous confie son «Rêve d'ange heureux", où s'expriment, une fois de plus, sa poésie et son amour des mots. Y sont passés au crible tous les registres de nos angoisses. Les nôtres... et les siennes, puisque le trac l'a saisi au collet et nous le livre tremblant et confus. Doss en profite pour rebondir sur la question, et la machine est lancée... Le monde s'éclaire dans tout son effroi. Tout n'est pas toujours névrose dans la vie, mais on finit par ne plus avoir les pieds sur notre bonne vieille Terre-apie, Doss, avec ses chaudes inflexions aux «r» roulants, fait la fête à la langue et se joue des mots: Télévissé dans ton fauteuil, tu crois que c'est toi qui choisis, mais c'est la télé qui commande à distance. Tu ne fais jamais que changer tes chaînes...

Selon le clown-poète, il n'est pas un domaine qui ne soit source d'inquiétude. Et il le prouve. Avec son visage mobile, Doss fait revivre, sans transitions cassantes, une foule de personnages embarrassés et de situations gênantes. Les tableaux se succèdent avec une belle aisance dramatique et textuelle. On passe ainsi des jeux télévisés - Lequel je voudrais gagner 1, se demande Doss. Le J. T.! Pour lui rendre l'espoir -, à la chanson, où trop de jeunes loups jouent encore aux play-boys mobil, ou à la peinture pariétale, qu'il compare à nos tags actuels.

S'inscrivant dans la lignée d'un Sol ou d'un Coppens, Paolo Doss nous propose avec «Rêve d'ange heureux" un voyage drôle et poétique au pays de ceux qui sont venus au monde avec un nez rouge, riches de secrets que tout le monde doit savoir. Osant affronter l'enfant prisonnier de notre âme adulte, Doss se souvient que le silence contient la parole parfaite et que nos cœurs recèlent un trésor unique qu'il s'agit de connaître et de partager. Paradoxe qui fait réfléchir, c'est au plus pur de . l'émotion que Doss se pare à nouveau de ses attributs de clown. Et c'est alors qu'il abandonne les grimaces un peu. trop récurrentes pour nous livrer un témoignage sensible.

Investissant une scène un peu grande pour lui, l'auteur-interprète s'est entouré de deux musiciennes - Françoise Hilger au piano et Kathy Adam au violoncelle - à la présence parfois gênante mais au talent certain. On regrettera peut-être que la mise en scène de Ken N'Diaye, enrichie des atmosphères lumineuses de Michel De Bock, ne laisse pas plus de place au naturel de l'acteur et ne corrige pas son penchant trop littéraire. Mais il serait regrettable de se priver pour autant du talent de Paolo Doss, qui mêle avec art le conte à la philosophie et la poésie à la truculence du langage.

par St.

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Presse
jeu, 16 Novembre 1995
Source : 
Le Soir